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26.09.2025| Lecture de 7 minutes

L’Agritech du Québec en vitrine à ALL IN 2025: retour sur l’IA appliquée du champ à l’usine

Gabrielle MarreGabrielle Marre

ALL IN 2025, la troisième édition du plus grand événement en IA au Canada, s’est tenu à Montréal les 24 et 25 septembre 2025, au Palais des congrès. L’événement, organisé par Scale AI, représente le plus gros rassemblement Canadien en matière d’IA. Parmi les activités proposées, nous avons aperçu le Challenge AgriTech, présenté par Global Affairs Canada et FAO; une vitrine où des fournisseurs canadiens ont pitché des solutions concrètes d’IA pour répondre aux besoins du secteur agricole. Objectif: faire émerger des outils prêts à déployer et offrir aux lauréats une visibilité mondiale, du World Food Forum à d’autres rendez-vous de l’écosystème. Retour sur l’IA appliquée du champ à l’usine.

Montréal est reconnue comme l’un des grands pôles mondiaux de l’intelligence artificielle (IA), avec un écosystème de recherche et d’entreprises qui attire des investissements et des talents de premier plan. En juin, le Canada a été le pays à l’honneur à VivaTech à Paris. Sous la coordination de Scale AI, la délégation canadienne a été la plus importante du salon, avec plus de 600 délégués représentant plus de 230 organisations, au sein d’une édition qui a accueilli plus de 180 000 participants. Cette dynamique nationale irrigue toutes les industries et se traduit, chez nous, par une agritech qui gagne en maturité.

Au Québec, cette structuration s’appuie sur des acteurs fédérateurs comme Zone Agtech, qui rassemble plus de 250 membres, et Écotech Québec, qui recense plus de 750 organisations actives dans les technologies agricoles. La province concentre environ 35 % de l’écosystème agtech canadien et totalise plus de 400 millions de dollars d’investissements. Ces repères situent le décor : ce qui suit illustre comment l’innovation se traduit déjà dans le quotidien agricole.

Pourquoi l’IA devient centrale pour l’industrie

Parler d’AgriTech, c’est parler de technologies qui transforment les pratiques agricoles au quotidien. L’intelligence artificielle y joue un rôle central, car elle permet de traiter les données issues des capteurs, des systèmes d’irrigation ou encore des outils d’analyse des sols, et de les transformer en décisions rapides et efficaces. Ces solutions répondent aux mêmes enjeux : produire mieux, utiliser moins de ressources et rendre les fermes plus résilientes face aux pressions climatiques.

Au Québec, ces technologies ne sont plus à l’état de prototypes : elles sont déjà utilisées par des producteurs. Les sondes de ChrysaLabs, par exemple, exploitent l’IA pour analyser en temps réel plus de 35 paramètres de fertilité et de santé des sols, offrant aux agriculteurs une lecture instantanée de la situation et un soutien à la prise de décision. Avec Hortau, les données recueillies par les sondes d’humidité sont interprétées par des algorithmes qui déclenchent l’irrigation uniquement au moment optimal, ce qui réduit la consommation d’eau et sécurise les rendements. Dans les serres, les lampes intelligentes de Sollum Technologies ajustent automatiquement le spectre lumineux selon les besoins de la plante et son cycle de croissance, en optimisant à la fois la qualité des récoltes et les coûts énergétiques.

L’innovation touche aussi la gestion environnementale. Logiag, en collaboration avec le CNRC, utilise la spectroscopie LIBS (Laser-Induced Breakdown Spectroscopy) et l’IA pour interpréter rapidement les mesures de carbone organique des sols. Cette méthode réduit la préparation d’échantillons et fournit des résultats acceptés dans le cadre réglementaire québécois, ce qui soutient la participation aux marchés de crédits carbone et encourage des pratiques agricoles durables.

Ces exemples montrent que l’IA n’est pas seulement un outil supplémentaire dans l’AgriTech québécoise : elle devient le moteur qui relie les données aux décisions, accélère les processus, et transforme dès aujourd’hui la manière de produire.

Témoignage du Québec

L’écosystème québécois soutient l’AgriTech avec des programmes ciblés, des entreprises en action et des projets de recherche concrets. Un exemple marquant : un programme public a versé plus d’un million de dollars en 2024 afin d’encourager les fermes horticoles à adopter des solutions comme robots ou capteurs intelligents pour répondre à la rareté de la main-d’œuvre et aux défis climatiques.

Le Québec compte plus de 50 entreprises actives dans la conception d’outils d’agriculture de précision: capteurs, sondes, solutions d’observation, drones, tous applicables à divers types de productions. Ces technologies permettent de mieux cibler les intrants, surveiller les cultures et opérer une gestion plus fine de l’eau ou des éléments fertilisants.

Des initiatives de recherche comme RADEAU mobilisent producteurs et acteurs locaux pour mesurer les bilans hydriques, suivre la consommation d’eau selon les cultures, et recommander des pratiques qui réduisent les pressions sur les ressources.

Par ailleurs, INO développe des systèmes automatisés assistés par IA pour la récolte dans des serres et des champs (brocoli, champignons, concombres) : collecte d’images, reconnaissance des stades de maturité, exécution mécanique de la récolte. Ces usages répondent directement à un besoin de productivité et à un manque de main-d’œuvre.

Ces exemples montrent que l’innovation est déjà en cours : pas juste en laboratoire, mais avec des tests sur le terrain, des données publiques utiles, et un soutien institutionnel qui commence à rendre l’AgriTech tangible pour les producteurs.

Les freins humains et sociaux

Les freins à l’adoption de l’AgriTech tiennent moins à la technologie qu’à des contraintes d’accès, de compétences et de culture.

Avec l’Opération haute vitesse, plus de 300 000 foyers ont été branchés et 50 000 km de fibre optique déployés. Pourtant, la qualité du service demeure inégale : en 2021, seulement 59,5 % des ménages ruraux atteignaient le seuil minimal de 50/10 Mbps fixé par Ottawa. Pour les capteurs de sol ou les plateformes de suivi, la stabilité et la latence du réseau comptent autant que l’accès lui-même.

La formation reste également limitée. L’ITAQ propose plus de 60 programmes en agriculture et agroalimentaire et l’Université Laval accompagne chaque année une douzaine d’entreprises en démarrage via son Camp d’entraînement agricole. Mais ces cursus intègrent encore peu l’AgriTech numérique. Dans plusieurs projets pilotes, des agronomes ont dû épauler les producteurs pour interpréter les données et calibrer les outils, faute de formation adaptée.

Un frein culturel persiste enfin. L’agriculture québécoise repose largement sur des fermes familiales où le savoir-faire manuel est valorisé. Les consultations du Plan d’agriculture durable 2020-2030 ont montré que les producteurs acceptent mieux l’innovation lorsqu’elle est présentée comme un complément à leur métier plutôt que comme une substitution. L’AgriTech ne s’imposera donc pas par la seule performance technique : elle doit aussi s’ancrer dans une culture professionnelle et identitaire.


Retour sur le Challenge AgriTech à ALL IN

Les finalistes ont livré des présentations qui révélaient autant de manières d’appliquer l’IA au secteur agricole. Bioeureka a mis de l’avant l’exploitation du microbiome humain comme levier pour relier alimentation et santé, en utilisant l’intelligence artificielle pour identifier des biomarqueurs clés. Miraterra a montré comment sa plateforme peut transformer les signaux physiques du sol en données précises sur sa chimie, sa biologie et sa structure, ouvrant la voie à une gestion plus fine de la fertilité et de la nutrition des cultures. Compusult a présenté des solutions logicielles capables d’intégrer et de sécuriser de vastes ensembles de données agricoles, facilitant la traçabilité et le suivi des intrants. Terrafy, qui a remporté l’un des prix, s’est distinguée par une technologie capable de cartographier la biodiversité microbienne des sols en temps réel pour recommander des pratiques de régénération. Sollum, également lauréate, a démontré le potentiel de son éclairage LED intelligent qui reproduit la lumière du soleil et ajuste le spectre lumineux pour chaque culture, offrant aux serres un outil précis pour améliorer la qualité des récoltes et réduire la consommation énergétique.

Félicitation aux lauréats et aux participants!

Le Challenge AgriTech d’ALL IN a offert aux finalistes une vitrine précieuse et au Québec une image de chef de file. Mais la portée réelle de ces innovations dépendra de leur ancrage dans la culture agricole et dans les pratiques de production. Le rôle d’événements comme ALL IN n’est pas seulement de montrer ce qui existe, mais d’accélérer le moment où ces solutions deviennent normales, accessibles et utiles. C’est ce chemin vers l’usage partagé qui déterminera si l’AgriTech sort définitivement du laboratoire pour transformer nos fermes.

📸 Crédit photos

Image de couverture : Scale AI - ALL IN / Image ROCK Your AI Challenge : Gabrielle Marre