
08.05.2025| Lecture de 13 minutes
Des étoiles qui font réagir : jasette avec Antonin Mousseau-Rivard et Élise Tastet
Le Guide Michelin qui débarque au Québec a fait beaucoup réagir... surtout au sein de l’industrie de la restauration. Ce n’est pas tout le monde qui s’entend sur les bienfaits promis de la venue de cette mythique reconnaissance. Avec cette jasette, nous souhaitions affronter deux visions afin de bien comprendre les deux côtés de la médaille. Le premier, Antonin Mousseau-Rivard, du désormais célèbre Le Mousso à Montréal espère l’arrivée des Étoiles au Québec depuis plusieurs années. De l’autre, nous voulions quelqu’un de moins chaud à l’idée de cette venue. Nous avons donc invité Élise Tastet à la tête de la fameuse application Tastet – qui permet de trouver la table idéale selon une variété de critères – qui, pensions-nous, ne serait pas heureuse de voir débarquer une certaine forme de concurrence. Nous nous trompions ! Récit d’une discussion qui nous a surpris.
Ce texte a été publié originalement dans l'édition 2025 de Bouillon, le concentré d’intelligence d’affaires pour les entreprises bioalimentaires du Québec, en décembre 2024.
Crédit photo : Audrey-Ève Beauchamp
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Ensemble la veille au soir dans le cadre d’un événement, Élise et Antonin sont tout de même très contents de (déjà) se retrouver pour notre jasette. Surtout que le thème pour lequel nous les invitons en est un qui vient particulièrement les chercher.
« C’est sûr que nous avons deux points de vue assez différents sur l’arrivée du Guide Michelin au Québec », débute d’emblée Antonin. Élise rit. « Moi, je suis vraiment contente qu’il vienne. J’ai jamais dit que j’étais contre Michelin. J’ai juste dit que si on donne autant d’argent à une entreprise internationale, ne serait-il pas possible aussi d’aider les entreprises d’ici ! ? J’ai juste dit ça sur mes plateformes sociales, et ça a fait boule de neige dans les médias. » Antonin, surpris, lui confirme que le traitement médiatique de sa sortie au lendemain de l’annonce de l’arrivée des Étoiles au Québec n’envoyait pas le signal d’une personne contente. Ne voulant pas trop s’épancher sur le sujet, Élise confirme : « Je suis vraiment contente que le Guide Michelin vienne au Québec. Je l’ai dit à tout le monde. » Sa sortie aura au moins eu de bon un rendez-vous avec le gouvernement qui, espérons-le, lui permettra de faire entendre son point qu’elle nous partagera tout au long de l’entretien.
DES RETOMBÉES QUI VONT PROFITER À TOUS
« Par le passé, on a eu de la difficulté à travailler avec certains offices de tourisme, car nous, on ne fonctionne pas avec des membres, on n’a pas le même modèle d’affaires. C’est un fait, c’est OK. Mais j’aimerais qu’on voit davantage comment on peut tous travailler ensemble », dit Élise.
Antonin est d’accord et confirme que le tourisme est la clé pour voir les retombées de la gastronomie, surtout haut de gamme. « Chez nous, le touriste c’est 35 % de ma clientèle en moyenne. L’été, ça peut monter à 60 %. Quand les gens qui viennent ont voyagé partout dans
le monde, ils sont habitués à fréquenter des Étoilés. Au Mousso, on fait généralement déjà partie de leur liste quand ils viennent à Montréal. » Élise renchérit : « Selon des études sorties par des instances touristiques, ça serait 70 % des gens qui voyagent pour la bouffe aujourd’hui. Les touristes viennent au Québec pour manger parce que la scène est unique. »
« C’est extraordinaire ce que les gens chez Michelin ont monté. C’est fantastique. Formidable. Ils ont aussi amené un hyper grand standard. En venant au Québec, si des Étoiles sont décernées – car c’est possible qu’il n’yenaitpas–çaditàtoutlemonde que la gastronomie québécoise est vraiment le fun, éclatée, gourmande, et aussi, qu’il y a de la très haute gastronomie qui se compare avec ce qui se fait de mieux ailleurs. » - Élise
« Je pense que l’arrivée de Michelin, ça amène des gens fortunés extrêmement “ foodies ” qui viennent d’à travers le monde. Pour eux, dépenser 1 000 $, ou encore 3 000 $ pour un repas, ça fait partie de leur quotidien. C’est bon pour notre économie. Je trouve ça le fun pour le Québec, renchérit Élise. Les retombées économiques sont énormes. Je pense que Michelin va venir mettre
un sceau, confirmer que notre gastronomie est de niveau international. »
Antonin ne pourrait être plus en accord. « Il y a plein de monde qui me disent qu’ils ont planifié leur voyage en fonction de la réservation qu’ils ont pu avoir chez nous. C’est quand même fou. Il y a des gens qui m’ont vu sur Instagram, et qui se sont dit “ Je vais aller à Montréal pour aller au Mousso ’’. Grâce à moi, ils vont se payer un hôtel, vont aller déjeuner, vont aller dans plein d’autres restaurants durant leur semaine. Ils vont dépenser à Montréal. » « C’est là que je suis excitée que le Guide Michelin vienne. Parce que ça amène des touristes qui aiment ça bien manger, poursuit Élise. Michelin ne parle pas de café, ne parle pas de brunch, ne parle pas de lunch, ne parle pas d’apéro, ni de bar. Nous, on a toutes ces places-là sur notre site. Quand le touriste va arriver et faire son Étoilé Michelin à Montréal et qu’il va chercher sur son téléphone “ Coffee shop near me ”, il va nous trouver nous. Et moi, je vais le guider à travers le Québec. Je trouve ça excitant aussi pour nous de voir comment on peut devenir complémentaire à ce qu’ils font, » se réjouit Élise.
Au-delà du tourisme, nos deux spécialistes voient l’arrivée du Guide Michelin positivement à d’autres niveaux. Antonin débute : « Moi, si je suis pour avoir une Étoile, c’est la pérennité de mon restaurant que je viendrais d’assurer. Il y a des gens qui disent que j'en aurais potentiellement deux. Mais moi, je n’en veux pas deux. Pourquoi ? Parce que selon ce qu’on dit, une Étoile, c’est 50 % plus de chiffre d’affaires par année. Deux Ètoiles c’est 25 %. Et trois Ètoiles c’est 15 %. Ça, c’est à cause des coûts qui vont augmenter. »
« Ultimement, tout le monde va être gagnant d’une certaine façon. Si je me mets à faire plus d’argent si j’ai une Étoile, ça sera gagnant pour mes producteurs, mon "staff". Ça va assurer la pérennité de mon resto. Ça veut dire que je vais réinvestir, m’acheter du nouveau stock, etc. Pour Michelin, c’est assez facile de prouver les retombées qu’ils amènent. » - Antonin
« Oui, on aurait pu prendre l’argent public pis le donner directement aux restaurants. C’est facile de prouver les retombées, le nombre de touristes que mon resto amène, nuance Antonin. J’ai été le premier à me lever pendant la pandémie pour dire qu’il fallait injecter des sous dans la gastronomie. Je ne comprends pas pourquoi on n’a pas de subventions, de congés d’impôt, des avantages pour faire ce qu’on fait. Mais là, avec les Étoiles - si on en a -, j’ai l’impression que ça va nous donner un levier de plus. Un joueur international qui arrive et qui dit qu’on fait partie de la gang des meilleurs dans le monde, ça va peut-être faire comprendre qu’il serait temps qu’on se fasse traiter pour ce qu’on est, pour ce qu’on apporte. »
VERS UNE NOUVELLE ÈRE DE RECOMMANDATIONS
L’autre sujet qui a enflammé notre duo, c’est la manière un peu floue dont les Étoiles sont décernées. « Je ne peux pas croire qu’on va être évalué sur les critères publics qui sont connus », dit Antonin. « Selon le site de Michelin, le service, le décor et l’ambiance ne sont même pas notés. C’est quand même étrange. On s’entend que quand on pense à un Étoilé Michelin, le service est quand même majeur », renchérit Élise.
« Je vais être très franc. Il n’y a pas beaucoup de restaurants qui vont avoir des Étoiles si on se fie aux marchés où le Guide Michelin est déjà venu au Canada. Plusieurs personnes mettent mon resto dans les Étoilés, mais il pourrait y avoir quelque chose dans mon restaurant qu’ils n’aiment pas. Ils pourraient ne pas aimer que je coupe le service pour expliquer les plats, qu’il y ait du rap qui joue, que je n’aie pas de bas dans mes souliers, que j’aie une barbe. Il pourrait y avoir quelque chose qui pourrait les déranger et que je n’aie pas de vote. »

« La question qu’il faut se poser, c’est pas si tu es prêt à avoir une Étoile, c’est si tu es prêt à ne pas en avoir. C’est le genre de question qu’on se posait au Château Frontenac lors du vote. C’est ça la vraie question. » - Antonin
Antonin fait référence au vote qui s’est tenu au printemps 2024 par les membres de La Table Ronde, un collectif qui rassemble les entrepreneurs derrière les grands restaurants des différentes régions du Québec, afin de déterminer si l’industrie souhaitait ou non la venue du Guide en province.
« Si tu n’as pas d’Étoile, ça ne veut pas dire que tu en auras jamais. Ça veut juste dire que tu ne réponds pas aux critères actuellement. J’ai un ami français qui n’a pas eu d’Étoile pour son resto, car il n’avait pas assez de vin français sur le menu. Et avec Michelin, il n’y a aucune garantie qu’il va y en avoir des Étoiles. Ils ne doivent rien au Québec », poursuit Antonin. Élise en ajoute : « Comme aux États-Unis, ils sont arrivés dans une nouvelle ville, et il n’y a eu aucune Étoile la première année. Il y en a eu les autres années ensuite. »
Élise explique : « Le Guide, ça demeure un modèle économique. Il y a, en plus des Étoiles, les Bibs Gourmands, le répertoire des bonnes adresses et d’autres mentions. Ils vendent le trafic sur leur site Web, et il y a le partenariat avec OpenTable. Ils sont gagnants qu’il y ait le plus d’adresses possible répertoriées sur leur site Web. » Elle poursuit en amenant un bémol : « Je demeure admirative de ce qu’ils font. Mais ils n’ont pas de personnalisation, pis ça reste une catégorie de restaurant. Je trouve important qu’ils viennent pour attirer un certain type de clientèle, mais après, nous, Tastet, sommes là pour tout le reste de l’offre au Québec. »
« J’ai regardé ce que tout le monde fait à travers le monde. Il y a plein de gens qui font des trucs vraiment le fun. Ce qui me fascine depuis que j’ai commencé, c’est que tout le monde fait des palmarès mais pas nous. La raison pour laquelle on ne l’a pas fait, ce que mon père aime, ce que mon chum aime, c’est pas la même chose. Évidemment, ceux qui se ressemblent s’assemblent. Mais les goûts, ça ne se discute pas. Il y a une part objective comme la qualité des produits, mais après, c’est tellement subjectif ce qui sera numéro 1 ou numéro 100. Moi ce qui m’intéresse, et c’est pour ça que je suis retournée à l’école pour apprendre l’IA, c’est qu’un jour on puisse recommander la bonne adresse, à la bonne personne, pour la bonne occasion, pour le bon budget. D’être capable de faire une recommandation et que chaque fois ça soit exactement ce que la personne cherchait », expose Élise.

« Tastet, nous ne sommes pas des critiques. On s’est fait critiquer pour ça. Les gens nous disent que nous sommes toujours positifs. Justement, si on en parle c’est que c’est bon. » - Élise
Élise et Antonin poursuivent en parlant des attentes qui sont souvent mal gérées ou du moins mal comprises par la clientèle des restaurants, souvent à cause des palmarès. « Dans le cas de mon restaurant, je ne comprends pas que les gens soient encore surpris. On leur explique tellement, par message texte, par email. On informe sur le prix avant. Avec une Étoile, si on en reçoit une étoile, ça va peut-être mieux gérer les attentes », dit Antonin. Élise le rassure : « À la fin, la table de gens qui vient et qui est déçue, car les attentes étaient mal comprises ou gérées, ils ne sont pas contents. Mais toi aussi comme restaurateur tu n’es pas content. Le monde de la restauration et le monde du dating, c’est tellement similaire. Est-ce que ça veut dire que tu es nul si la personne en face de toi pense que tu es nul. Non, ça veut juste dire que ce n’est pas un bon match. Un restaurateur qui a des clients insatisfaits est perdant aussi. Tu veux répondre à la demande. »
La discussion s’est poursuivie sur les enjeux de financement au Québec. « Au Québec, né pour un petit pain, ce n’est jamais très loin. Je veux qu’au Québec, il y ait de l’argent. On ne peut pas réussir en affaires sans “ cash ”. C’est terminé. Dans les générations précédentes, c’était tabou de parler d’argent. Moi, je le dis, j’aimerais faire beaucoup d’argent. Bâtir une entreprise qui va valoir des millions, j’ai de l’ambition. Au Québec, les gens ont peur de l’argent. C’est pas bien vu d’en parler. On ne pourra jamais se comparer à New York ou autres si on n’injecte pas d’argent dans la gastronomie. Un Guide Michelin, c’est gagnant pour les producteurs aussi. Si un restaurant fait plus d’argent, le producteur en fera plus », conclut Élise.
« Y’arrivera ce qui arrivera. C’est pas blanc ou noir. Mais je pense que ça peut être positif autant pour toi, Élise, que pour moi », dit Antonin. « En conclusion, moi, je te souhaite une Étoile, Antonin. Et j’ai hâte que les touristes Michelin arrivent pour pouvoir les guider dans leur séjour ici », termine Élise. •
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Le Mousso, ouvert en 2015, est le projet d’Antonin Mousseau-Rivard et de sa mère Katherine Mousseau. Le menu dégustation proposé est désormais reconnu comme l’un des meilleurs
en ville. Tastet décrit l’établissement comme « restaurant gastronomique incontournable de Montréal ». Au fil des ans, le Mousso et son chef vedette ont remporté plusieurs honneurs, dont le prix du restaurant de l’année lors de la première édition du gala des Lauriers de la gastronomie, qui célèbre le meilleur de l’industrie culinaire québécoise, en 2018.
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Tastet est un guide de bonnes adresses. Sa mission est de promouvoir le milieu de l’hospitalité, soutenir son essor et contribuer à sa vitalité. Ses critères d’analyse des établissements permettent d’offrir un contenu de qualité le plus objectivement possible.
Le site est suivi et lu par les influenceurs du milieu, ce qui amène une touche personnelle et des contenus exclusifs. On y retrouve plus de 2 000 adresses répertoriées dans 10 villes, caractérisées par plus de 40 critères. L’entreprise propose également Tastet +, une application offrant des recommandations transparentes pour tous les goûts, toutes les occasions et tous les budgets !